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le mobile
05.2018

On n’aime pas les architectes. Je l’avais oublié, je crois, sans doute parce que j’étais trop occupée à en devenir une : mais pour une fois que l’architecture s’affiche à l’actualité, je m’en suis rappelée. L’actualité, c’est la loi ELAN, qui devrait permettre aux bailleurs sociaux de se passer de concours d’architecture pour la construction de logements. Je voulais « faire du logement social », si vous me le demandiez, parfois, dans tous les cas, à l’école, j’ai fait mon chemin entre un appartement idéal, une expérience au Brésil, ou un projet d’équipement à La Courneuve, et même, des tours, sans vouloir faire de grands écarts de vocabulaire. La vérité c’est que je me suis sentie en colère d’avoir si peu perçu ce qui s’amorçait, du côté du gouvernement mais aussi des architectes. Ce n’est pas à l’école que j’en ai entendu beaucoup parler. Pour une fois que l’on trouve un mobile ?
Alors que je parcours sur la presse en ligne articles et commentaires, à la recherche de réactions, ce que je trouve est édifiant. Il y a un certain refrain sur les « années 80 » et les grandes erreurs, ailleurs, on est certain que ce sont les architectes qui sont responsables de la dégradation du cadre de vie, ou qu’ils ont orchestré la laideur du monde. Finalement, une atmosphère de « bon débarras ». Mon petit cœur est affligé par ce que pense tout-le-monde de l’utilité de la profession. J’ai une vague pensée pour mes maquettes de logement étudiant, empilées sur un carton qui me sert encore de rangement, et pour ceux qui choisissent d’être architectes, ceux qui vont le choisir, plus précisément.
Pourtant, au détour de mes lectures, surtout au début de cette tribune accompagnée du nom de quelques stars du métier, j’avais trouvé qu’on avait essayé d’être concret, quand on racontait ce que le marché du logement a le plus abîmé : la lumière, la ventilation, les superficies. Vous reconnaîtrez votre palier sans fenêtre, vos couloirs angoissants, votre appartement en forme d’extension de votre cuisine, etc. Il n’y a pas besoin de cadre spécifique, bien sûr, pour dessiner des logements terribles, mais qui peut penser que, sans architectes, on vivra mieux ? Qui va veiller à ce qu’on puisse mettre un petit bureau là, dans la chambre d’enfant, à ce que votre salon microscopique ait l’air grand quand vous rentrez chez vous, à ce que vous puissiez vous attarder, ce soir où vous cherchez vos clés en même temps que le voisin, sur un palier éclairé de lumière naturelle, à la manière dont vous faites partie de l’horizon d’une ville de banlieue ?
Tant qu’on ne communiquera pas davantage sur le rôle de l’architecture, les lois ne susciteront que peu d’indignation, à part celle, enfin unifiée, des membres de la profession. Les lois sur l’habiter valent-elle moins que les lois sur le travailler ? A quoi servons-nous architectes ? On ne doit pas aimer les architectes. On ne doit pas y trouver des stars, comme on en a l’impression dans les magazines, en fin de compte, mais des ouvriers du cadre de vie. On doit aimer habiter. Peut-on rejeter toute responsabilité du mal-ville, du mal-vie ? Est-ce qu’on ne doit dessiner qu’avec un crayon ? Est-ce qu’on peut participer davantage à la législation qui régit le cadre de vie, pour qu’un loi si importante ne nous soit plus jamais aussi complètement étrangère ? A quoi servons-nous architectes ? Pouvons-nous faire en sorte, comme on semble le croire, que toutes les erreurs ne viennent que d’un mauvais dessin ?

En photo page précédente : une structure cerf-volant très belle de Daniel Graffin pour la biennale de Venise de 1995.